Wieder
Elle est pudique dans son habit sombre de soir d’hiver. Je n’ai pu que l’effleurer du regard en tentant de deviner son contour. Berlin. Sur le trajet j’essaie de me rappeler à quels bâtiments appartiennent les écrans lumineux à travers lesquels j’aperçois, un court instant, les vies qui habitent le paysage de mes souvenirs.
J’arrive. Un peu fébrile. Rien n’a changé. La rue est silencieuse. Un taxi est à l’arrêt et quelques fantômes immobiles attendent le bus sous la lumière blafarde des lampadaires. La rue s’abandonne à moi comme un souvenir enfin palpable. Rien n’a changé.
Il fait froid. De la fumée sort de ma bouche. C’est douloureux de plier les doigts. La cage d’escaliers a la même odeur. Au troisième étage, à la fenêtre des communs il y a des décorations ridicules en silicone. Comme avant.
Ayse m’attend, paisible et lumineuse, sur le pas de la porte. Elle me prend dans ses bras. Je lui parle de l’école, de ma spécialisation dans les arts d’Océanie, elle me parle de cette collègue qui abandonne tout pour la Nouvelle Zélande et des projets de ses enfants. Elle me parle du garçon qui me remplace. Il vient d’Inde. Un jour il devra rentrer parce qu’un mariage l’attend. Elle ne l’aime pas trop je crois : il n’a mis aucune décoration. J’étais curieuse de le rencontrer mais il ne vient pas.
Le lendemain je retrouve Vi'. On mange un poulet au curry à trois euros. Comme avant. Elle me parle du mariage de son frère. On ri. Ce week end là, elle a dormi chez moi. Je partais tôt pour l’Alsace et je l’ai enfermé dans la chambre. Elle a dû hurler pour alerter les voisins. A songé à passer par la fenêtre pour toquer aux vitres. Mais j’habite au septième étage.
Elle conduit une petite voiture rouge. Hier, Ay' et Ri' ont ri quand j’ai parlé des adultes. Aujourd’hui, je suis une adulte. C’est quand même un peu triste. J’achète un rideau de douche blanc décoré d’une trace de main ensanglantée. A vrai dire c'est affreux mais il fait partie de toutes ces choses que j’achète et que je mange parce que je me l’étais juré petite. J’appel ça des micros fantasmes. Le plus dur est de manger de la margarine tous les matins.
On fait les vintage et on achète ces bouteilles du vin italien qu’on ne trouve qu’en Allemagne.
Vi' a l'oeil. Je lui parle de mes soucis, de ma vie. Elle me prend dans ses bras et m’embrasse sur le front.
On s’assoit sur le rebord de la baignoire pour réchauffer nos pieds dans l’eau et on parle longtemps. Le lendemain on reste au lit et on lit Zola.
J’ai besoin d’air. Je me perds dans Neuköln. Tous les turcs essaient de me vendre leurs pétards. Le ciel gronde. Je sursaute à chaque fois.
Je prends une douche.
Ri' et Ay' rentrent d’un restaurant indien pendant que je regarde le début d’un film sur un homme au chômage. Ils lisent un livre, eux aussi, et rient aux éclats.
Je pars de la maison plus tôt. Vais à tout hasard au cinéma. La salle est fermée. Je retrouve Rom'. Paris lui manque. J’agrippe sa veste un peu trop grande au niveau des épaules et le secoue. A Paris Berlin lui manquait. Je lui cris qu’il faudrait voir à ne pas changer tout le temps d’avis.
Le mécanisme délicat achète un Kebab. Il est avec ses amis. Je les prends tour à tour dans mes bras avant de lui claquer une bise. Puis dans un élan de méchanceté débile : « Alors quoi de neuf ». Réduisant ainsi volontairement en bouilli la beauté potentielle des retrouvailles. Je les abandonne heureuse tout de même de les avoir vu, ces garçons très différents.
On passe en 2016 sur un toit terrasse. Tous sont là. Certains ont changé. D’autres non. Un épais brouillard tombe sur la ville. Je ne sais pas si ce sont les fusées ou simplement l’hiver. On compte les secondes puis on se prend tous dans les bras. Les explosions inondent de couleurs la nuit. J'embrasse les moins proches et serre longuement ceux qui le sont plus.
Le bar est enfumé. Les enceintes diffusent un son clair. On danse. Je suis heureuse, ferme par moment les yeux. Quand je les ouvre mon regard en croise parfois un autre et l’on sourit. Je prends quelques nouveaux arrivants dans mes bras. Par moments d’essoufflement je m’assoie. Là, il y a toujours quelqu’un à qui parler. On découvre les choses nouvelles sur les uns, les autres ou l’on s’émeut de celles qui n’ont pas changé.
Horoscopes chinois. Pour les rats c’est une bonne année. Pourtant elle ne me plait pas beaucoup. Faire place à l’imprévu, compter seulement sur soi, oser la folie dans la prudence.
Les garçons sortent et Ay' dort. L’indien se lève. Il vient faire mijoter ses putains d"épices à 23 heures à mètre cinquante du canapé où je dors un lendemain de réveillon. Je me douche comme pour dire : « cuisine vite. »
Il met peu d'épices pour que je goute. Je pleure. Il rit.
Il est un peu tragique. Il veut être artiste. Il sera ingénieur. Demande ce que je fais. Fait semblant de connaître. Me montre ses dessins : parfaitement réalistes, doux, ternes, d’une infinie tristesse. Il n’utilise aucune couleur. Il a peur de ne pas contrôler. Un monde nous sépare et il m’agace. Je débarrasse et fait semblant de travailler. Avant de me coucher je propose un café au mécanisme délicat.
Ay' dépose une petite boite de loukoums d'Istanbul sur mon oreiller pendant mon sommeil.
Le Mécanisme rentre quand je me lève et doit dormir. Je n’avais pas dit quand je partais.
Je mange un de ces énormes kebab qu’on ne trouve qu’à Berlin et peu être en Turquie. Je lis un peu et je prends le train.
Amour: Berlin.